La non-application du délai de deux mois pour soulever l’inopposabilité d’une disposition d’un accord collectif d’entreprise

Institué par les ordonnances Macron de 2017, l’article L.2262-14 du Code du travail a restreint l’action en nullité d’un accord collectif en exigeant qu’elle soit engagée, à peine d’irrecevabilité, dans un délai de deux mois à compter :

  • de sa notification par l’une des organisations syndicales signataires à l’ensemble des organisations représentatives ;

OU

  • de sa publication sur la base de donnée nationale des accords collectifs.

Cet article a considérablement limité la contestation de la validité d’un accord collectif. Une fois passé le délai de deux mois, l’accord collectif illicite paraissait incontestable.

Toutefois, appréciant la constitutionnalité de l’article L.2262-14, le Conseil constitutionnel est venu atténuer la rigidité de cette disposition.

D’après le Conseil, s’il n’est pas possible de remettre en cause l’existence même de l’accord collectif au-delà du délai de deux mois, le justiciable peut toujours solliciter du juge qu’une ou plusieurs de ses dispositions illicites de l’accord ne lui soit pas appliquées, à l’occasion d’un litige individuel les mettant en œuvre (21 mars 2018, n°2018-761).

C’est ce qu’on appelle l’exception d’illégalité.

La Cour de cassation a récemment concrétisé la décision du Conseil constitutionnel, à l’occasion d’un litige relatif à la désignation d’un délégué syndical.

Un accord collectif d’entreprise délimitait 25 établissements distincts pour la mise en place des CSE, précisant qu’il valait pour la désignation des délégués syndicaux. La CGT s’affranchissait de cette cartographie en désignant des délégués syndicaux sur des périmètres différents de ceux prévus par l’accord.

L’employeur contestait ces désignations sur le fondement de l’accord d’entreprise conclu ou signé.

La CGT répondait que l’accord contrevenait à l’article L.2143-3 du code du travail autorisant la désignation d’un délégué syndical sur un périmètre différent de celui des institutions élues du personnel, et n’était donc pas applicable en l’espèce.

La société invoquait alors l’irrecevabilité de cette argumentation sur le fondement de l’article L.2262-14 du code du travail, le délai de recours de deux mois ayant largement été dépassé.

La Cour a considéré que ce délai n’était pas applicable et que le syndicat pouvait parfaitement contester les dispositions de l’accord collectif par la voie de l’exception d’illégalité (Cass. soc., 2 mars 2022, n°20-18.442).

La Cour a adopté la même position dans deux cas où l’exception d’illégalité avait été soulevée par une institution élue du personnel (Cass. soc., 2 mars 2022, n°20-16002 ; n°20-20.077).

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Publiés au bulletin des arrêts de la Cour de cassation et commentés dans son rapport annuel d’activité, ces arrêts sont salutaires en ce qu’ils permettent de soulever l’illégalité d’une ou plusieurs dispositions d’un accord collectif à tout moment.

Soulevant cette exception d’illégalité, il revient bien évidemment au justiciable de démontrer en quoi les dispositions de l’accord en question contreviennent à la loi.

Il est toutefois important de retenir que l’exception d’illégalité ne permet pas de faire disparaitre la disposition de l’accord en question. Cette dernière reste en vigueur mais devient inopposable en l’espèce. Elle est écartée par le juge dans le cadre du litige qu’il doit trancher.

Si une telle action est ouverte aux organisations syndicales et institutions représentatives du personnel, reste à savoir si les salariés peuvent la faire également valoir dans le cadre d’une action prud’homale individuelle.

Dans un tel cas, un salarié pourrait demander au conseil de prud’hommes d’écarter l’application d’une ou plusieurs dispositions illicites d’un accord d’entreprise, même au-delà de l’expiration du délai de deux mois à compter de sa publication ou notification.